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Face aux rapides mutations que connaît la société: Des traditions millénaires à sauvegarder en Kabylie

Face aux rapides mutations que connaît la société: Des traditions millénaires à sauvegarder en Kabylie

Depuis fort longtemps, la Kabylie garde avec fierté des traditions ancestrales très anciennes. Même si, aujourd’hui, nombre de ces coutumes ont tendance à disparaître. Le temps qui passe finit, toujours, par avoir raison de tout. Toutefois, de nouvelles habitudes peuvent supplanter des pratiques millénaires car les sociétés ne stagnent pas mais connaissent, sans cesse, des mutations et parfois des métamorphoses même.

Autrefois, La Kabylie fut le fief de moult traditions originales. Des simples tâches ménagères aux ouvrages les plus complexes comme les moulins à eau, les habitants de cette belle région se sont distingués des siècles durant. « Et si l’on songe à ce que l’on sait du peuple kabyle, sa fierté, la vie de ces villages farouchement indépendants, la constitution qu’ils se sont donnés (une des plus démocratiques qu’il soit), leur juridiction enfin n’a jamais prévu de peine de prison, tant l’amour de ce peuple pour la liberté est grand …Ces hommes qui ont vécu dans les lois d’une démocratie plus totale que la notre », écrit le grand écrivain et journaliste Albert Camus en 1939 dans ses fameux reportages, intitulés « Misères de la Kabylie ». Le fils de belle-cour avait compris la spécificité de cette contrée. Karl Marx aussi avait  visité ce pays des chemins qui montent et était subjugué par « le communisme »  qui est structure les relations sociales. Avec le temps, nombre de traditions s’effritent ou laissent la place à de nouvelles pratiques.

Le volontariat entre hier et aujourd’hui

Le volontariat ou « Tiwiza », comme on l’appelle communément dans la région de Béjaïa, et un peu partout dans la Kabylie, est l’une des traditions ancestrales. Jadis, les gens s’entraident pour faire nombre de travaux. La solidarité était omniprésente. Avec le temps, les gens deviennent de plus en plus individualistes et ces bonnes habitudes peinent à s’imposer. Cependant,  l’esprit du groupe résiste encore surtout dans les villages. Nous avons assisté à nombre d’activités de volontariat, où nous pouvons retrouver une chaleur humaine exemplaire. C’est le cas de ce volontariat organisé par le village Taourit, situé sur les hauteurs de l’Akfadou, dans la wilaya de Béjaïa.  C’était un vendredi. Des dizaines de personnes étaient au rendez-vous pour redonner un nouveau visage au cimetière du village. Durant un peu plus d’une demi-journée, ces « écologistes » ont pu nettoyer parfaitement le cimetière qui était dans des conditions lamentables. Dans une ambiance de fête, ce groupe de citoyens s’est livré à un travail bien élaboré. Il fallait dégager de l’endroit tous les déchets (papiers, sachets, bouteilles de bière, restes alimentaires et d’autres ordures). Avant cette opération civique, cet espace ressemblait plus à un dépotoir. Comme si le respect des morts était relégué aux oubliettes.  Depuis la nuit des temps, le volontariat a toujours marqué le quotidien des Kabyles. Dans l’organisation traditionnelle, Tajmaât (le comité du village) on pouvait palper le fruit de la solidarité des gens. Les villageois ne touchaient à rien sans la contribution de tout le monde. Ainsi, les tâches à faire deviennent moins pénibles. Par exemple, lorsque quelqu’un veut bâtir une maison, ce sont tous ses voisins qui vont prendre part. Chacun doit apporter sa touche jusqu’à la réalisation du projet. Idem pour les travaux agraires, pour lesquels, des groupes de personnes s’adonnent au travail de la terre. Autrefois, même aller au marché se faisait collectivement, au point où les habitants de certains villages ne se déplaçaient qu’en groupe. C’était un autre temps. Même les femmes partageaient les tâches des travaux ménagers, surtout lorsqu’il s’agit de préparer le couscous. Dans une ambiance singulière, la fatigue laisse place à un soulagement et à un plaisir partagé. « Ces derniers temps, ces pratiques ancestrales ont tendance à s’effriter, même si pendant quelques occasions la volonté des gens nous laisse croire à une autre réalité. Pendant la préparation des dalles de béton pour les nouvelles constructions, Tiwiza refait surface. En effet, tous les jeunes du village viennent avec leurs pelles, pour aider leurs concitoyens. Une manière d’aider autrui et de marquer la solidarité ». estime Da Mokrane, un vieux villageois. De nos jours, les gens s’orientent vers un autre mode de vie de plus en plus penché vers l’individualisme, un individualisme « impitoyable ». Peut-être que c’est « Tajmaât » qui meurt à petit feu. Ou bien, chaque époque a ses propres exigences. Dans certaines régions de la wilaya de Béjaïa et durant la  saison chaude, le volontariat redevient comme avant, ou presque. Comme nombre de personnes qui résident  en dehors de la région reviennent passer les vacances dans la terre qui les a vu naître, l’opportunité est propice pour effectuer des travaux communs. Peut-être que  « Tiwiza » va toujours exister chez nous. Le volontariat est l’une des fiertés des  femmes et des hommes kabyles.

Le mouvement associatif une autre alternative

Le mouvement associatif est une bonne alternative aux traditions de solidarités. C’est le cas de l’association Rahma de Béjaüa. C’est l’une des rares organisations humanitaires qui activent dans la capitale des Hammadites ; c’est un espace pour la solidarité et la dignité humaines. Grâce à la bonne volonté des femmes et des hommes de la wilaya de Béjaïa, nombre d’actions caritatives sont programmées à longueur de l’année.  Durant le mois de ramadan passé, les infatigables adhérents de cette association ont été les principaux travailleurs des « Diar Rahma », (restaurants du cœur). En effet, ils s’adonnaient, avec bravoure, à ce noble geste d’aider autrui. Durant tout le mois sacré, les nécessiteux et les SDF de la ville de Yemma Gouraya et des autres communes ont eu droit à des repas chauds et équilibrés. L’association Rahma, qui a son siège au quartier Sghir, au centre de la ville de Béjaïa, ouvre ses portes à toutes les personnes qui ont besoin d’une quelconque aide. Malgré ses limites, en matière financière, elle fait de son mieux pour satisfaire les « marginalisés de la société ». Des marginalisés qui sont en croissance démesurée, surtout avec les problèmes multidimensionnels que connaît notre pays, à l’instar de la cherté de la vie et de l’érosion du pouvoir  d’achat, qui ne fait que compliquer la vie aux gens de la petite bourse. Les handicapés, les patients atteints de maladies chroniques, les chômeurs, les SDF et bien d’autres personnes trouvent dans ladite association un véritable refuge. En plus des actions que mène cette organisation, contre vents et marées, elle travaille, souvent, en collaboration avec les autorités et plusieurs organismes dans le but d’aider le plus grand nombre possible de personnes. C’est le cas du  F. P. A. H (Foyer pour personnes âgées et handicapés) qui fait partie de ces centres qui acceptent la main tendue de l’association Rahma. L’été dernier, les humanistes de la fameuse association ont permis à beaucoup de personnes, ayant des besoins spécifiques, et des personnes âgées de profiter des beaux sites touristiques de la wilaya. Sorties, randonnées dans les bois, baignades dans les plages, sont entre autres, les actions programmées pour la saison chaude. « Notre association fait de son mieux pour redonner le sourire à nos concitoyens. Malgré les multiples entraves auxquelles nous faisons face, nous sommes toujours déterminés à aller de l’avant et à consolider la solidarité dans notre société. Avec nos modestes gestes, nous avons déjà pu réaliser  pas mal de choses et nous comptons faire beaucoup mieux à l’avenir. Nous sommes persuadés que la bonne volonté existe toujours et peut changer les choses dans le bon sens. Il suffit juste d’y croire à ces nobles idéaux et se donner à fond », estime l’un de responsable de l’association Rahma qui préfère garder l’anonymat. Peut-être que d’autres organisations naîtront pour emboîter le pas à tous ceux qui font de la solidarité une raison de vivre. « Les changements sont une dynamique toujours en marche dans une société. Mais il est souhaitable de ne pas perdre les bonnes habitudes  car en perdant ces repères c’est le dysfonctionnement de la collectivité qui menace à n’importe quel moment », nous dit Ahmed Bedri, sociologue.

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