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A Sétif, les hameaux traditionnels se meurt en silence: Ait Tizi, se déracine, s’efface…

A Sétif, les hameaux traditionnels se meurt en silence: Ait Tizi, se déracine, s’efface…

Ce qui frappe quand on arrive pour la première fois dans la région d’Ait Tizi, c’est la langue que parlent les gens du cru. Ait Tizi c’est d’abord une langue ; le berbère des Hauts-Plateaux, c’est un mélange de kabyle et de sétifien. Mais Ait Tizi n’est pas que cela, son caractère géographique unique la différencie nettement des autres terres sétifiennes. 

A mesure que l’on s’en approche, il s’annonce géologiquement. Aux pénéplaines côtières parfois verdoyantes parfois franchement nues, succède un sol qui se plisse, se bourrelle et délivre d’autres essences. Une variété infinie de cactées surgit au petit jour des deux cotés de la route  taillée dans la croûte sèche et caillouteuse, des arganiers rabougris et poussiéreux, d’un vert bouteille que jaunit l’ambre des noix pas encore mûres. Arbres épineux mille fois vaincus et mille fois ressuscités. 

Rien ne vient jamais à bout de leur résistance, ni les chèvres qui y grimpent allégrement pour les dépouiller de leurs minuscules feuilles, ni les coupes meurtrières que leur infligent les bûcherons clandestins, car en dépit d’une modernité acceptée et même recherchée, le bois de chauffe continue de flamber dans les kanouns. L’arganier est sans doute le symbole le plus représentatif de cette région montueuse que la légende auréole de ses mythes patinés et de mystère dont le moindre effet est de vous nouer imperceptiblement la trippe lorsque vous rencontrez un de ces vieillards éternels dont les rides disent une histoire de sang versé, de lutte pour la survie entrecoupée de joie simple et fugace.

Ait Tizi, c’est aussi l’habit des femmes ; robe mi kabyle mi Sétifien traditionnel généralement de couleur noire au liséré rouge. Et un bandeau également noir décoré d’un rang de bâtonnets de corail. Comme on le voit, la femme d’Ait Tizi qui vit toute l’année dans sa montagne, est d’abord un être doublement coloré. Un être extérieur rouge et noir. Cependant, la modernisation  grignote peu à peu la beauté millénaire des choses ; cela se remarque surtout à des détailles infimes comme ces bâtonnets de corail remplacés depuis quelques années par des bâtonnets en matière plastique. Ou comme les fibules en argent et les lourds colliers d’ambre et de pièces de monnaies anciennes auxquels se substituent des épingles de nourrices et des cordonnets dont la femme attache habit noir au niveau des seins. 

La femme, fondement de la cellule traditiuonnelle

De tout temps la femme berbère a été pourvoyeuse des significations cachées du monde. C’est elle qui inculquait aux très jeunes enfants la culture ancestrale que l’homme, trop paresseux quand il n’était pas occupé dans le commerce ou dans les travaux de maçonnerie, ne leur dispensait pas. Cette culture ne se donnait pas comme  un apprentissage au sens scolaire, mais comme un travail de patience et de méthode qui consiste à nourrir le cerveau de l’enfant de légendes symboliques  tout en lui faisant connaitre les beautés diverses et immédiates de la terre. Ici la femme apparait comme déesse bienveillante, car elle compose avec les éléments, elle est les éléments et tous ce qui les embellis aux yeux des hommes ; mais c’est au printemps qu’elle s’épanouie et devient aussi aérienne qu’une antilope.

Elle se confond avec la renaissance de la nature.  Autrefois, On voyait les jeunes filles couper l’herbe tendre et l’entasser dans leur hotte ; elles ne se voilaient pas le visage qui resplendissait  sous une frange de cheveux noirs. Elles s’égaillaient dans les champs entre les hautes tiges porteuses de fleurs diaprés, au crépuscule elles, déposaient leur hotte sur le sable humide du torrent et s’asseyaient en cercle sur les dalles schisteuses pour s’épancher. Elles devaient parler d’amour et d’innocence ou rêver à ces villes surpeuplées où elles vivent aujourd’hui, adultes et harassées, dans l’énervement, le tumulte et la pollution. Elles étaient véritablement dans un paradis qui faisait  pièce avec leur corps, mais elles ne doivent pas s’en rendre compte, car le commentaire  qui loue plus que de raison les bienfaits du déracinement opère dans leur conscience captatrice comme une subversion  ou tout au moins y déclenchait-il  un désir de fuite irrépressible. Elles  étaient alors libres de parcourir la montagne et la vallée ; cette terre pourtant très étendue n’était qu’un vaste domaine où elles évoluaient à leur guise.

 Maintenant elles se laissent cloitrer dans des appartements exigus ou des villas, elles ne sortent qu’accompagnées et elles ignorent tout des dangers extérieurs. Elles savent qu’elles sont dans une ville, mais elles ne comprennent pas son fonctionnement. Elles ressemblent à ses reines des termites dont l’existence au fond de l’obscurité complète est vouée aux cycles de reproduction. Elle en ont même les apparences ; elles grossissent vite par inaction et tombent souvent malades. De fines et sveltes qu’elles étaient, elles deviennent lourdes et adipeuses. Et peut être oublient-elles  de communiquer à leur progéniture ce que leur avait transmis leur mère. Avec la disparition progressive et combien inévitable des vieillards issus de la région et imperméables aux influences corruptrices se pose le problème de la pérennité culturelle. 

Le travail, valeur civilisationnelle

Cela touche essentiellement la culture du travail de la terre. Curieusement on est frappé de constater qu’ici à ait Tizi la terre arable elle-même est laissée à l’abandon parce que plus personne ne veut la cultiver en dehors de la période des semailles. On ne trouve plus ces potagers entourés de murets couverts de branchages épineux qu’irriguait l’eau des puis. Mais on constate partout la présence de l’eau, car les puits (toujours eux) ne sont jamais taris. On ne rencontre plus ici que des gens désœuvrés qui vont faire leur marché comme des citadins dans les boutiques bordant les axes de passage. Tout ce qu’ils consomment sur le plan alimentaire est expédié de la plaine d’ouledBrahem dont ils ne sont séparés que par une montagne.

Les émigrés de cette région bâtissent ici des villas en béton dont ils confient  les clés à des allogènes et où ils ne viennent habiter qu’une quinzaine de jours par an où à l’occasion d’un mariage. Ces édifices coutent des milliards ; ils sont le plus souvent au milieu de grands parcs et possèdent  l’eau courante  et l’électricité. A voir cette terre orpheline on ne comprend pas pourquoi ceux qui y vivent ne la travaillent plus, pourquoi ils n’y plantent plus de nouveaux arbres alors qu’ils disposent de bras robustes de motopompe et de carburant. Les amandiers, les oliviers, les figuiers et les dattiers de cette vallée sont très anciens. On dit qu’ils furent plantés par les ancêtres, mais d’autres arbres ont dû pousser naturellement ; tous prospèrent tant bien que mal  alors que personne n’en prend soin.  

On se contente de gauler les amandiers et de cueillir les olives quand les fruits mûrs commencent à joncher le sol. La culture terrienne, organique, qui est la base de toute connaissance tend à s’effriter  comme sous l’effet d’un rejet collectif. De tous ceux qui vivent en permanence dans ce village de montagne, il n’y a que les vieillards et les pauvres qui sachent  réellement la valeur de la terre. Ce sont eux qu’on croise sur le chemin de la mosquée restée  jusqu’à présent  le lieu privilégié des réunions communautaires. 

Une cité ocre et poussiéreuse

Mais en dehors des heures de prières, l’imam est presque toujours seul ; il médite sur une natte fatiguée au pied d’un mur chaulé auquel est pendue une outre de cuir noir qui s’égoutte lentement. A quoi pense-t-il et en quoi  consiste sa méditation ? C’est la question que se pose celui qui l’observe  de loin sans être vu. Comme il était craint et respecté à l’époque ! Maintenant, n’importe quel esprit grincheux l’injurie et quitte même le rang avant la fin de la prière. La jeunesse de Ait Tizi n’est pas portée sur le sacré ; à vrai dire elle se consacre surtout au jeu sous toutes ses formes et à l’ivresse à tout prix ; elle est oisive et mal dans sa peau. 

Mais qu’heureusement une autre jeunesse existe, pas forcément religieuse mais assez dynamique, assez consciente et responsable pour envisager l’avenir autrement que ses parents auxquels s’est imposé le monde moderne avec la brutalité que l’on sait. Culturellement elle fait son possible avec les moyens du bord, ne disposant que de son intelligence et de sa volonté, pour exhumer et revivifier ce qui est partout renié, rejeté par ceux la mêmes qui ignorent que la perte de la terre a pour cause directe la perte de ces racines. Ce que l’on éprouve de prime à bord en arrivant à ait Tizi c’est un sentiment de paix que n’entame pas la morsure vive du froid qui sévit dans cette région montagneuse. Tout ici baigne dans une torpeur quiète et glaciale, les murs et les êtres. Mais le souk situé au centre du village continu de s’agiter mollement. Même les animaux de traction, toutes les montures sont remplacées par des autos, des camionnettes et des cyclomoteurs. Leur pétarade couvre le braiment des rares ânes que l’on rencontre encore de temps en temps. Ait Tizi, qui a perdu ses repères,  s’est transformée au cours des ans en une cité ocre et poussiéreuse.                   

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