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La françafrique s’est brutalement fait éjecter du Sahel

Les conflits de faible et moyenne intensité dans les pays du voisinage de l’Algérie, continuent à miner la stabilité dans la région Sahélo-saharienne

On appelle Françafrique : les accointances et autres cachoteries entre copains, de part et d’autre de la méditerranée. Elle se manifeste notamment par la corruption de nos élites et des pratiques mafieuses savamment orchestrées par la France sur le continent. Et ce, afin de défendre ses intérêts tout en permettant aux présidents africains de s’éterniser au pouvoir. Tout cela, à l’insu et sur le dos des pauvres populations africaines.

En revanche, les quelques rares chefs d’Etat patriotes qui s’opposent aux intérêts vitaux de la Métropole se retrouveront de facto dans le collimateur de Paris. S’en suivront alors des menaces, des tentatives de déstabilisation, le financement et l’équipement de rebellions armées etc.

C’est l’une des manifestations les plus abjectes du néo colonialisme français. Or, depuis l’avènement de l’ Internet, des médias sociaux et du pluralisme médiatique, la donne est en train de changer. La jeunesse africaine qui ne s’intéressait que très peu à l’actualité politique à l’échelle internationale, il y a quelques décennies, se retrouve aujourd’hui au même niveau d’information que n’importe quel responsable politique.

Plus intransigeante par rapport à tout ce qui touche à la souveraineté de surcroit, c’est une jeunesse citoyenne qui intervient plus que jamais dans le débat politique et dont la voix compte.

C’est dans cette dynamique qu’il faut inscrire les coups d’Etat successifs ayant eu lieux dans les pays de la sous région sahélienne. Ces coups de force sont l’expression d’un très profond mécontentement populaire. ils sont, dans la plupart des cas, l’aboutissement de plusieurs mois de mobilisations populaires réprimées sans le sang.

Au Mali par exemple, la médiocrité du régime de d’ IBK était si patente que la France ne pouvait nullement agir face à l’ampleur de l’évidence.

Nulle question pour nous de verser, dans cette tribune, dans des invectives inutiles contre la France. Il importe tout de même de jeter un regard critique sur l’attitude, la stratégie et les solutions que la diplomatie française a mises en avant, depuis le coup d’Etat contre le régime de IBK le 18 août 2020, afin de maintenir le Mali dans son giron.

Il faut dire que la France a essuyé toutes les difficultés à comprendre les jeunes officiers qui renversèrent Bah N’Daw, huit (8) mois plus tard, sous la direction du colonel Assimi Goïta. C’est de cette incompréhension que va découler toutes les maladresses de la Macronie.

Le premier élément d’importance qui, a nos yeux, se trouve à la base de ce fiasco tient à la communication même du président Macron. Du point de vue de la forme, il a privilégié les prises de paroles publiques (Conférence, forum et autres réunions) pour s’adresser aux chefs d’Etat souverains d’Afrique. Le but d’un tel exercice n’est pas en réalité de communiquer, mais plutôt de paraître et de menacer.

Pourtant, quoi de plus dynamique que de se déplacer, quand il s’agit des dossiers sensibles, pour avoir un tête -à-tête, un dialogue. Et plus étonnant encore, il se trouve que Monsieur Macron aime prendre des libertés avec la réalité des faits. Le respect dû à ses paires n’est pas sa priorité. C’ est un narcissique. c’est-à-dire qu’il s’aime beaucoup, il aime beaucoup s’écouter… Il croit sincèrement que ses interlocuteurs ne le valent pas et cela ressort dans son discours et son gestuel. Sa pédagogie consiste plus à faire peur qu’à se faire comprendre. Jamais, Emmanuel Macron n’a parlé à Assimi Goîta et Choguel Maïga encore moins au Peuple malien. Mais plutôt à lui-même et à son électorat..

Le second motif qui explique cet cuisant échec concerne évidemment la stratégie que paris a privilégiée douze mois durant. A savoir, la politique de l’intimidation et de la déstabilisation. Mais là aussi, nous pouvons constater l’amateurisme et la faiblesse des réseaux de renseignement français au Mali.

Pour combattre un ennemi il faut le connaître. Partir seulement du postulat que la France est chez elle ici en Afrique, et que les Africains francophones ne sauront jamais s’affranchir du tutelle néo coloniale, a été une grosse erreur d’appréciation.

Comment le quai d’Orsay n’a pas pu voir que ces jeunes officiers qui ont décidé de “rectifier la trajectoire de la transition” allaient leur mener la vie dure, qu’ils étaient d’une popularité inédite dans ce pays, que c’étaient des patriotiques résolument décidés de sortir leur pays du gouffre ? Comment ont – ils pu croire que les tentatives de déstabilisation, avec la complicité active de quelques présidents de la CEDEAO à la dévotion de la Métropole, pouvait venir à bout de tout un peuple débout dernière leurs élites politiques, peu importe qu’ils soient militaires .

En fin, le manque de vision géo stratégique qui caractérise la politique internationale française depuis l’élection de Macron a contribué à plus d’un titre à discréditer davantage ce pays dans les pays francophones d’Afrique. Le commun des mortels sait pertinemment que la France ne fait pas la guerre au sahel par charité. Elle y est pour défendre ses intérêts. A partir de là, soutenir que la France partira dès que le groupe russe, Wagner, aura mis les pieds au Mali, a été un non-sens diplomatique. En défendant urbi et orbie cette thèse, Paris a précipité Bamako dans les bras de Moscou. Le simple fait de s’accrocher sans discernement à ce principe prouve que Jean-Yves Le Drian et ses collaborateurs ignoraient à tel point l’armée française était devenue indésirable au Mali. L’on est en droit de se poser la question de savoir quelle était la ligne directrice de Macron, tant les contractions au fil des semaines devaient quasi quotidiennes. Bref, ce fut le flou total. En réalité, c’est l’Elysée qui a rendu la tâche facile à Assimi Goïta en lui servant la libération de sa partie sur un plateau d’argent.

La politique est un métier exigeant qui s’accommode mal de l’improvisation. Le régime de Macron en a fait les frais. Même si nous constatons un changement d’approche consécutif à la multiplication des coups d’Etat dans le sahel. Echaudé par le cas Malien, Emmanuel Macron a semblé ces derniers temps avoir bien appris la leçon. Sa parole devient rare et mieux policée.

A l’instar du reste du monde, ce qui se passe en Afrique noire francophone est loin d’être un épiphénomène. Nous sommes au commencement d’un gigantesque mouvement de contestation de l’ordre international établi à la fin de la seconde guerre mondiale. C’est peut-être réellement le début d’une nouvelle ère plus que multipolaire.

NB/Les avis des auteurs publiés dans les Jeudis de L’Express n’engagent que leurs rédacteurs et ne reflètent pas nécessairement la ligne éditoriale du journal.

Par Boubacar Mody Sacko, Analyste politique malien , Professeur de Lettres à Anvers

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