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Évoquant la crise entre Alger et Paris: Dominique de Villepin plaide pour un sursaut historique

Parmi les voix françaises qui s’élèvent pour rétablir un dialogue entre Paris et Alger, celle de Dominique de Villepin « résonne » avec une gravité particulière. L’ancien Premier ministre, fin connaisseur des relations internationales et figure respectée de la diplomatie française, a livré une analyse sans fard de la situation actuelle. Dans un entretien accordé à la chaîne Algérie Internationale, il insiste sur la nécessité d’un « regard lucide » sur l’histoire, tout en appelant à un dépassement des rancœurs pour bâtir un avenir commun.

« Il y a une grande attente et un espoir dans les milieux français quant à la possibilité de trouver des solutions à la crise avec l’Algérie », affirme Dominique de Villepin d’emblée. Un constat qui tranche avec le silence gêné de l’exécutif français, empêtré dans une relation oscillant entre gestes symboliques et crispations diplomatiques.

Si la brouille actuelle s’inscrit dans une longue série de tensions récurrentes, elle semble avoir atteint un point de blocage. Paris et Alger, liés par une histoire douloureuse, peinent à dépasser les litiges liés à la mémoire coloniale, à la question migratoire et aux jeux d’influence en Afrique. « Ce que je peux dire, au regard de mes rencontres avec de nombreux responsables en France, que ce soit dans les milieux politiques ou économiques, c’est qu’il y a une grande attente et un espoir de parvenir à des solutions », précise l’ancien chef du gouvernement.

Ce besoin de dégel n’est pas uniquement porté par des considérations diplomatiques. De nombreux industriels et acteurs économiques français observent avec inquiétude l’éloignement progressif d’Alger, qui, ces dernières années, a intensifié ses relations avec d’autres partenaires, notamment la Chine, la Russie et la Turquie.

Pour Dominique de Villepin, le moment est venu de rompre avec l’inertie. Il assure que « chaque partie est prête à jouer son rôle » et que « nous sommes tous disposés à travailler pour dépasser les différends actuels et rouvrir les canaux de dialogue et de coopération ».

Des signaux semblent, en effet, indiquer une volonté mutuelle d’avancer. Le président Abdelmadjid Tebboune a récemment évoqué la possibilité d’une relance du partenariat avec la France, tout en rappelant l’importance d’une approche respectueuse et équilibrée. Paris, de son côté, hésite entre prudence et tentatives de réconciliation, conscientes que tout faux pas pourrait envenimer encore davantage la situation.

Dans ce contexte, De Villepin voit dans la crise actuelle une opportunité de refondation, « Je voudrais dire que cela va dans la bonne direction, et c’est pourquoi nous devons tous travailler pour surmonter cette crise de manière positive. »

Mais peut-on réellement tourner la page sans affronter pleinement l’histoire ? L’ancien Premier ministre, connu pour ses positions tranchées sur la politique étrangère française, ne contourne pas la question : « Il est nécessaire de remettre la question de la reconnaissance de l’histoire tragique au centre des préoccupations. Cela doit être fait sans aucun doute. ». Depuis plusieurs décennies, les pouvoirs successifs en France ont oscillé entre demi-mesures et déclarations ambiguës sur le passé colonial. Si Emmanuel Macron a multiplié les gestes symboliques, comme la reconnaissance de l’assassinat de Maurice Audin ou le retour des crânes de résistants algériens, il s’est toujours refusé à une reconnaissance officielle des crimes de la colonisation comme relevant d’un « système d’oppression ». Une position qui continue d’alimenter la défiance du côté algérien.

Pour De Villepin, cette impasse mémorielle freine tout rapprochement durable. Il souligne ainsi l’importance d’un travail sincère et approfondi sur ce passé douloureux, condition sine qua non pour bâtir une relation franco-algérienne apaisée.

Mais s’il appelle à ne pas éluder l’histoire, Dominique de Villepin insiste aussi sur la nécessité d’un dépassement. « L’essentiel est de se concentrer sur ce qui nous attend et sur ce qui doit être accompli pour notre jeunesse et pour nos peuples. Cela nous pousse à regarder vers l’avenir et à aborder les aspects difficiles et douloureux avec un esprit constructif », plaide-t-il.

Ce dépassement ne signifie pas l’oubli, mais plutôt une capacité à transformer le poids du passé en levier pour bâtir une coopération nouvelle. Alger et Paris ont, en effet, de nombreux défis communs, la stabilité en Méditerranée, la gestion des flux migratoires, la lutte contre le terrorisme, sans oublier les opportunités économiques dans des secteurs comme l’énergie, les infrastructures et les nouvelles technologies.

Dans cette optique, l’ancien chef du gouvernement insiste sur l’impératif d’une « bonne volonté » réciproque. « La bonne volonté doit être la force motrice qui nous guide », affirme-t-il, estimant que des progrès sont possibles à court terme.

Toutefois, si Dominique de Villepin se montre optimiste, son appel met en lumière une réalité persistante, la France peine à adopter une ligne claire et constante dans sa relation avec l’Algérie. Entre déclarations contradictoires, maladresses diplomatiques et intérêts divergents, l’Élysée semble osciller entre l’envie d’apaisement et la crainte de froisser une partie de l’opinion publique.

L’ancien Premier ministre ne se positionne pas en médiateur, mais son intervention rappelle qu’une autre approche est possible, fondée sur la sincérité, le respect et une vision de long terme. Son plaidoyer, bien que mesuré, tranche avec la frilosité ambiante et pose une question essentielle, la France est-elle prête à assumer pleinement son passé pour mieux construire l’avenir ?

Là réside sans doute l’enjeu central de cette crise. Car au-delà des contingences politiques, c’est bien d’une refondation de la relation franco-algérienne dont il est question. Une refondation qui ne pourra se faire sans un véritable courage politique des deux côtés de la Méditerranée.

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L'express quotidien du 18/06//2025

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