29.4 C
Alger

«Tayara Safra» de Hadjer Sebata couronné à Montréal

La 41ᵉ édition du Festival Vues d’Afrique de Montréal a distingué Tayara Safra (L’Avion jaune), réalisé par Hadjer Sebata, en lui attribuant le prix de la Meilleure fiction court et moyen métrage.

Dans une salle vibrante d’émotion, rythmée par des youyous venus ponctuer l’annonce du palmarès, cette récompense a résonné comme une reconnaissance forte pour une œuvre portée par une vision singulière du cinéma algérien.

Le jury a unanimement salué le film pour « l’alternance réussie entre le passé et le présent », relevant un « choix esthétique très original », une « maîtrise technique remarquable » ainsi qu’un « cadre et un décor d’une justesse rare ». Au centre des éloges, l’interprétation intense de Souhila Maâlem dans le rôle de Djamila a particulièrement marqué les esprits. Une vidéo de la montée sur scène de Hadjer Sebata, sous les applaudissements nourris du public, circule depuis sur les réseaux sociaux, générant une vague d’émotion en Algérie et au sein de la diaspora.

D’une durée de 40 minutes, Tayara Safra s’inscrit dans un moment charnière de l’histoire algérienne, les années 1956-1957, en pleine guerre de Libération. Le film suit Djamila, une jeune femme « confrontée » à la mort brutale de son frère Mustapha, exécuté par l’armée coloniale française. Le drame se double d’un conflit familial aigu : leur père, Saïd, ancien policier colonial, est accusé d’avoir incité son fils à rejoindre les rangs de la police, provoquant indirectement sa perte.

Ce point de départ sert de trame à une narration sobre, tendue, où les silences et les regards portent autant que les dialogues. Djamila, dévastée mais lucide, entame une quête intérieure de justice et de sens. Le film explore, sans didactisme, la complexité des trajectoires individuelles en temps de guerre, les tensions entre fidélité familiale, engagement politique et nécessité de survie.

À travers la figure de Djamila, Hadjer Sebata interroge la place des femmes dans les récits de la guerre d’indépendance, souvent cantonnées à des rôles secondaires. Ici, la résistance prend le visage d’une femme en deuil, déterminée à comprendre, à se situer, à agir. Le film s’inscrit dans une dynamique de cinéma mémoriel où la sensibilité ne cède jamais à l’emphase, et où la forme (plans fixes, lumière naturelle, rythme maîtrisé) sert le fond avec rigueur.

Le prix obtenu à Montréal consacre aussi un cinéma féminin algérien en pleine affirmation, qui assume un regard propre sur le passé, loin des discours figés. Hadjer Sebata, avec Tayara Safra, donne chair à une histoire individuelle traversée par les grands remous de l’Histoire. Elle fait de la mémoire un enjeu de narration autant que de transmission. Ce n’est pas un film historique au sens académique, mais une œuvre vivante, habitée, qui capte la tension entre les héritages et les choix personnels.

Pour beaucoup, Tayara Safra est plus qu’une fiction. C’est un témoignage, un geste artistique assumé, un cri discret mais puissant venu rappeler que les douleurs du passé continuent de façonner les consciences. La récompense québécoise ne fait que souligner ce que le film porte en lui, la dignité d’un récit qui ose parler de trahison, de deuil et de loyauté, avec justesse et profondeur.

Articles de meme catégorie

L'express quotidien du 15/06//2025

Derniers articles