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Guemache Djamel, chercheur dans le domaine des huiles essentielles : « Ce savoir s’est peu à peu perdu » !

Le Dr Djamel Guemache rappelle, dans cet entretien, que « la médecine traditionnelle occupe une place importante dans notre histoire, avec un savoir-faire ancien autour des extraits de plantes. Depuis des siècles, on utilise les huiles essentielles en Algérie. » 

L’Express  : Qu’est-ce qui vous a personnellement motivé à transformer une partie de votre thèse en livre grand public  ?

Dr Guemache : Dans ma thèse, je me suis intéressé aux produits de terroir algériens et aux opportunités qu’ils peuvent saisir sur un marché mondial en pleine transformation.

Depuis la crise du COVID-19, on voit un vrai retour à la terre, les gens cherchent à se soigner autrement, à se protéger naturellement, à retrouver dans leur consommation un «  gage  » de santé et de prévention.

C’est dans ce contexte qu’est né ce que j’appelle le «  bien-être sanitaire  »  : une nouvelle manière de consommer, où la santé et le bien-être ne font plus qu’un. D’un côté, des produits pour prévenir ou traiter certaines maladies  ; de l’autre, des produits pour embellir, détendre et apaiser.

 En étudiant de près cette «  évolution  » à travers une analyse SWOT, j’ai découvert que les produits de terroir algériens ont de formidables cartes à jouer. Grâce à la richesse de leurs origines géographiques et culturelles, ils ont tout pour plaire à un public mondial, à condition de s’aligner sur les standards de qualité et de certification exigés à l’international.

L’Algérie a cette force rare, un territoire immense, avec une diversité climatique et culturelle que peu de pays peuvent revendiquer. Cette richesse peut devenir un véritable moteur de développement pour nos campagnes, à travers des produits de niche capables de trouver leur place sur des marchés spécialisés partout dans le monde.

 Comment expliquez-vous le faible intérêt pour les huiles essentielles et végétales en Algérie, malgré leur potentiel  ?

 Le manque de culture de consommation est l’une des principales raisons pour lesquelles les huiles essentielles et végétales sont si peu utilisées aujourd’hui. Pourtant, la médecine traditionnelle occupe une place importante dans notre histoire, avec un savoir-faire ancien autour des extraits de plantes.

Depuis des siècles, on utilise les huiles essentielles en Algérie. Par exemple, l’huile d’euphorbe, qui doit son nom au médecin du roi Juba II, était connue pour ses bienfaits. Chez les Touaregs, beaucoup de plantes étaient utilisées pour soigner les morsures de scorpions et de serpents. En Kabylie aussi, jusqu’aux années 80, les gens se soignaient naturellement avec des huiles d’olive, de lentisque, de rose musquée, ou encore d’ortie et de l’inule, aussi bien pour traiter certaines maladies que pour prendre soin de leur peau.

Aujourd’hui, on est face à une vraie rupture : ce savoir, qui se transmettait de génération en génération, s’est peu à peu perdu.

Vous parlez d’une «  consommation responsable  »  : concrètement, comment peut-on l’encourager chez les Algériens  ?

Aujourd’hui, ce sont souvent les populations les plus pauvres qui vivent dans des zones rurales pourtant très riches en ressources naturelles et humaines. Ces ressources peuvent devenir un vrai moteur de développement, elles peuvent créer de la richesse, des emplois, y compris pour les femmes, et permettre de construire des marques ou des labels pour protéger l’origine des produits et préserver un patrimoine culturel ancien.

 L’industrie agroalimentaire peut jouer un rôle clé dans ce dynamisme rural. Nos régions ont une grande variété de produits, un savoir-faire collectif solide, de la main-d’œuvre disponible, des terres adaptées à l’agriculture biologique, ainsi que des routes, des pistes agricoles, et des organismes qui offrent soutien, formation et accompagnement.

Il serait aussi important de lier l’agroalimentaire au tourisme de montagne. Cela ouvrirait la porte à l’agrotourisme, un secteur qui connaît un grand succès dans des pays comme la Suisse, la Hollande, le Danemark, et même la Tanzanie, avec l’exemple de Zanzibar devenu une référence mondiale.


 Quel rôle peuvent jouer les zones rurales dans ce modèle de développement durable que vous défendez  ?

 Avant tout, il est urgent de lutter contre le marché parallèle, qui représente aujourd’hui un vrai danger pour la santé des Algériens. Une des solutions serait de mettre en place une labellisation de tous les produits destinés à la vente. On pourrait même s’inspirer de ce qui se fait en Europe, comme l’agriculture biologique, l’appellation d’origine protégée, le Label Rouge ou encore la spécialité traditionnelle garantie.

Labelliser un produit, c’est obliger chaque producteur à suivre un cahier des charges strict, respecter les bonnes pratiques de récolte, de transport, de conditionnement, maintenir les bonnes températures, et surtout, préserver les valeurs écologiques.

C’est donc une tradition qu’on peut et qu’on doit faire revivre.

Il faudra aussi lancer une grande campagne de sensibilisation. Cette campagne doit impliquer les écoles, les associations, les médias, les mosquées, et même la classe politique, pour construire ensemble une vraie culture de l’alimentation responsable.

L’Express : Maintenant que votre thèse est soutenue, quelles sont les prochaines étapes pour concrétiser votre vision sur le terrain  ?

 Dr Guemache : Trois ans après ma soutenance, j’ai publié deux livres, un sur les plantes médicinales et un autre sur la sécurité alimentaire. Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’annoncer, dans les colonnes de L’Express, la sortie en mai de mon quatrième ouvrage  : Comment étudier les marchés et agir en conséquence  ?.

C’est un livre qui parle directement aux entreprises, aux étudiants et à tous ceux qui veulent investir dans l’agroalimentaire.

 Après ma thèse, je ne me suis pas arrêté. J’ai écrit, j’ai publié, j’ai animé des conférences avec des associations et des universités un peu partout. Aujourd’hui, je veux aller plus loin. Mon objectif est de travailler avec les entreprises et les acteurs économiques, pour que mon travail académique serve concrètement sur le terrain.

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L'express quotidien du 28/05//2025

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