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Lakhdar Aouarib, professeur d’Histoire : « Les massacres du 8 mai 1945 relèvent du terrorisme d’État »

Lakhdar Aouarib, professeur d’Histoire à l’université Kasdi Merbah de Ouargla, revient dans cet entretien sur les massacres du 8 mai 1945. Il qualifie ces événements sanglants « de terrorisme d’État » et reproche à la partie française deminimiser les pertes humaines subies par la population algérienne.  Lakhdar Aouarib plaide pour « le maintien de la pression sur la France pour qu’elle reconnaisse ses crimes ».

L’EXPRESS : L’Algérie célèbre aujourd’hui le 80ᵉ anniversaire des évènements du 8 mai 1945. Comment qualifiez-vous les massacres perpétrés ce jour-là ?

Lakhdar Aouarib : Avant de parler des massacres du 8 mai 1945, rappelons-nous une citation de Mohamed  Bachir El Ibrahimi, dans laquelle il dit que : « si l’histoire de la France était écrite avec des plumes de lumière et ensuite scellée dans son chapitre final avec les massacres du 8 mai 1945, ce chapitre effacerait toute son histoire ».

 Les massacres commis par la France coloniale contre un peuple sans défense ne peuvent être qualifiés que de crimes contre l’humanité. Il n’est donc pas surprenant que le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, ait choisi le 8 mai de chaque année pour instaurer la journée nationale de la Mémoire. Cela démontre également, que l’État algérien est sur la bonne voie concernant le dossier de la mémoire. En fait, le dossier de « la mémoire » n’est pas un simple dossier. Vous n’avez qu’à constater les crises politiques et diplomatiques répétitives entre les deux pays dues à la mémoire.

Les victimes de ces évènements tragiques n’ont pas la qualité de martyrs ?

Le président de la République a indiqué en 2020 que le nombre des victimes des crimes de la colonisation depuis 1830 dépasse les 5,5 millions de personnes, toutes tranches d’âges confondues, soit plus de la moitié de la population algérienne, alors qu’auparavant on ne parlait que de 1,5 million de martyrs depuis le déclenchement de la révolution. Certains statisticiens s’attendent à ce que la liste des martyrs atteigne les dix millions. Mais en analysant le bilan démographique de l’Algérie avant la conquête française et au cours de l’occupation,  nous parviendrons inéluctablement à cette conviction.

 Le peuple algérien est connu pour ses forts taux de natalité, mais pendant la période coloniale, la courbe des naissances était sur la pente descendante, en raison des génocides et crimes perpétrés  contre le peuple algérien. Je dirai donc que les victimes des massacres du 8 mai 1945 sont des martyrs. Ils méritent ce statut par excellence.

Mais la France conteste ces chiffres ?

En fait, même le nombre de 45 000 martyrs est à reconsidérer. Car les massacres se sont poursuivis jusqu’au 24 mai 1945. Benjamin Stora estime que ces massacres se sont étalés sur deux mois. 

Ce chiffre est contesté par les rapports officiels français qui parlent de mille morts, alors que l’armée française et de nombreuses milices coloniales armées, composées de civils d’origine européenne, ont fait des dizaines de milliers de victimes arrêtées, torturées et exécutées sommairement. Certains historiens français objectifs, comme Gilbert Meynier, avancent un chiffre de 20 000 victimes. Après le débarquement des Alliés en Algérie, des rapports américains retiennent pour  leur part un chiffre de 30 000 victimes. De par mon expérience, la France officielle a coutume de donner des chiffres insignifiants qu’il faut parfois multiplier par 10, pour en arriver aux statistiques exactes.

Depuis 1830, la France, via ses bourreaux, a mené des opérations génocidaires, à l’image de Pélissier et de Bugeaud qui ont procédé à des exterminations de masse, à  travers la destruction de villages, et les enfumades de tribus  entières.  

Ce génocide commis par des représentants officiels de la France est en soi une conspiration, car les manifestants avaient demandé une autorisation pour la manifestation. La France coloniale sait pertinemment, que les Algériens ne pouvaient sortir sans brandir leur drapeau national, mais elle a quand même conditionné qu’elle n’ait pas de caractère politique et aucun drapeau outre celui de la France ne soit agité.

Pensez-vous que la France pourrait un jour reconnaître ses crimes ?

 Absolument, mais seulement si l’Algérie, appuyée par son peuple et sa société civile, fait pression sur la France, à commencer par la criminalisation du colonialisme. C’est par la pression que la France finira par se soumettre et reconnaître ses crimes, notamment, dans le contexte actuel où la France est en proie à de graves crises internes et externes. N’oublions pas que la France est étroitement liée à l’Algérie et ne peut pas s’en dissocier, notamment sur la question énergétique.

Quant aux autorités algériennes, elles ont conscience que le dossier de la mémoire est gênant pour la partie française. Mais pour l’Algérie, il est plus que jamais nécessaire de maintenir la même pression diplomatique, sans jamais faire de concession. De cette manière, je suis persuadé que la méthode portera inéluctablement ses fruits. L’Histoire a montré que la France se plie aux pressions. La guerre de libération le prouve : malgré la répression et la politique d’extermination, la France a finalement accepté d’aller aux négociations.

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L'express quotidien du 11/05//2025

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