Trois ans après une crise sans précédent, Alger et Madrid semblent décidées à tourner la page. L’année 2025 marque un tournant dans les relations entre les deux capitales, longtemps « crispées » par la position espagnole sur le Sahara occidental.
Sans éclats diplomatiques ni gestes spectaculaires, c’est dans la discrétion que s’est opérée la reprise d’un dialogue fondé sur le réalisme et les intérêts mutuels.
En mars 2022, la décision du gouvernement de Pedro Sánchez d’apporter un soutien explicite au plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental avait provoqué la rupture de confiance avec Alger. Rappel de l’ambassadeur, gel des échanges économiques, suspension du traité d’amitié et arrêt de la coopération sécuritaire : la réaction algérienne fut immédiate.
Trois ans plus tard, la situation se renverse. L’heure est désormais à la relance, sous le signe d’un pragmatisme assumé. Le signal le plus visible est venu du terrain sécuritaire. Le ministre de l’Intérieur, Saïd Sayoud, a annoncé à Madrid, lors de sa rencontre avec son homologue Fernando Grande-Marlaska, la réactivation du protocole de mobilité et de retour signé en 2008, resté lettre morte depuis 2022.
Une commission technique conjointe a été installée pour en suivre la mise en œuvre. Alger et Madrid reprennent ainsi le travail d’échange d’informations et de coordination dans la lutte contre les réseaux de passeurs, la traite des êtres humains et la falsification de documents. Sayoud a tenu à préciser la position de l’Algérie face aux critiques récurrentes venues d’Europe : « L’Algérie ne fait pas de la migration une arme politique », a-t-il affirmé, rejetant toute idée d’un chantage migratoire.
Selon les données présentées, les forces de sécurité algériennes, appuyées par l’Armée nationale populaire, ont empêché plus de 100 000 tentatives de traversée illégale en 2024 et rapatrié 82 000 migrants dans des conditions qualifiées de « dignes ».
Une manière de rappeler qu’Alger agit selon une approche humanitaire et souveraine, loin des accusations d’instrumentalisation. L’apaisement est également venu du plus haut niveau. En janvier, le président Abdelmadjid Tebboune a déclaré que « l’Algérie n’a de différend avec aucun pays européen » et que les relations avec l’Espagne étaient revenues à la normale.
Une normalisation confirmée, symboliquement, par la reprise des importations de bétail espagnol dans le cadre du programme d’un million de têtes pour l’Aïd. En février, l’ancien ministre de l’Intérieur Ibrahim Merad s’était déjà rendu à Madrid, première visite du genre depuis la crise.
Accompagné d’une délégation sécuritaire, il avait rencontré plusieurs responsables espagnols pour aborder la coopération en matière de sécurité intérieure et de protection civile. Dans la foulée, le président du Conseil de la Nation, Azouz Nasri, recevait à Alger l’ambassadeur d’Espagne, dans une rencontre qualifiée de « cordiale ».
Ce dernier, Fernando Morán Calvo Sotelo, s’était félicité de la « volonté partagée de tourner la page » et saluait « le rôle stabilisateur de l’Algérie en Afrique du Nord et au Sahel ». L’épisode de la libération de l’otage espagnol Navarro Canada, en janvier, grâce à une médiation algérienne, avait également renforcé cette perception positive à Madrid.
Si la politique avance à pas mesurés, l’économie, elle, a repris de la vigueur. Les exportations espagnoles vers l’Algérie ont bondi de 162 % au premier semestre 2025, retrouvant presque leur niveau d’avant-crise. Le secteur de la céramique, particulièrement touché en 2022, a regagné le marché algérien, tandis que les lignes maritimes entre les ports des deux pays connaissent un trafic soutenu.
Sur le plan énergétique, la continuité n’a jamais été rompue, l’Algérie demeure le deuxième fournisseur de gaz de l’Espagne, avec une part oscillant entre 26 % et 30 %. Cette constance a servi de socle de confiance et de levier de réengagement diplomatique. Ni Alger ni Madrid n’ont souhaité compromettre un partenariat énergétique vital pour les deux économies.
La « reprise » du dialogue entre Alger et Madrid s’inscrit dans une diplomatie algérienne plus souple, soucieuse d’équilibrer ses rapports avec les capitales européennes. Sans effacer les désaccords de fond (notamment sur la question du Sahara occidental), les deux pays ont choisi la voie du réalisme et de la complémentarité.
L’Algérie y voit l’occasion de consolider sa position de partenaire fiable, tant sur le plan énergétique que sécuritaire, tandis que l’Espagne, dépendante de son voisin du Sud pour sa sécurité maritime et énergétique, mesure l’importance d’un rééquilibrage politique après les tensions de 2022.

