Invité du premier numéro de l’émission « Yamine ou Yassar » diffusée par nos confrères d’El Khabar, le chercheur en relations internationales Hasni Abidi a jugé inutile la rupture des relations entre l’Algérie et la France. Il a insisté sur la nécessité de « partenariats basés sur le respect mutuel », tout en appelant à « repenser la politique étrangère au Sahel » et à investir davantage dans la diplomatie religieuse comme puissance douce. Selon lui, « les échanges économiques dépassant 11 milliards de dollars » et la présence de « millions d’Algériens en France » rendent indispensable une coopération apaisée et pragmatique.
Le professeur-chercheur en relations internationales à l’université de Genève, Hasni Abidi, a estimé qu’« il n’y avait eu aucun intérêt à couper les relations entre l’Algérie et la France », appelant à « adopter une nouvelle vision pour l’avenir des relations avec les pays du Sahel plutôt qu’avec des régimes changeants ». Selon lui, l’Algérie partage avec ces pays des frontières qu’« aucune puissance ne peut contrôler militairement ».
Ces déclarations ont été faites lors du premier numéro du programme « Yamine ou Yassar », diffusé par nos confrères d’El Khabar. Abidi a souligné que la France reste « un pays pivot au sein de l’Union européenne », alors que l’Algérie vit « une crise avec ce dernier ». Il a précisé que « les décisions de l’Union européenne, notamment sur les visas et le partenariat, reposent sur la solidarité entre ses États membres ».
Pour l’universitaire, l’Algérie a besoin de « partenariats basés sur le respect mutuel ». Il a mis en garde contre l’« enfermement sur soi », qu’il a qualifié de « pensée dangereuse ». Selon lui, toute détérioration dans les relations avec la France donnerait « l’occasion à d’autres pays de renforcer leurs partenariats avec Paris ».
Il a également rappelé que « des millions d’Algériens vivent en France et reviennent chaque année régulièrement en Algérie », ce qui impose des relations organisées. Sur le plan économique, il a indiqué que « le volume des échanges entre l’Algérie et la France a dépassé 11 milliards de dollars » et qu’« il ne peut être facilement remplacé ». À ses yeux, l’Algérie ne peut pas « se tourner vers d’autres États avec la même facilité », d’où « la nécessité de diversifier les partenariats économiques et politiques » sans se limiter au bloc de l’Est.
Hosni Abidi a insisté sur le fait que « la France n’est pas Macron, ni Bruno Retailleau, ni Marine Le Pen », invitant à « investir dans l’avenir », notamment parce que « de nombreux Algériens occupent des postes sensibles en France ». Il a ajouté qu’« on ne peut hypothéquer leur avenir en raison de mauvaises relations, ni ouvrir plusieurs fronts en même temps », surtout avec les défis sécuritaires au Sahel, la tension avec le Maroc et les tentatives d’« Israël » d’exploiter les faiblesses régionales.
Concernant la grève annoncée en France pour le 18 septembre, il l’a qualifiée d’« indicateur sain », montrant « l’existence d’un contre-pouvoir incarné par la rue et les partis d’opposition ». Pour lui, ce mouvement traduit « le rejet de ce qu’a affirmé Macron en arrivant au pouvoir, quand il prétendait qu’il n’y a ni droite ni gauche », cherchant à imposer un parti centriste.
À propos de la nomination de Sébastien Lecornu, Abidi l’a présenté comme « une personnalité de droite ayant travaillé avec Macron », qu’il décrit comme « consensuelle ». Il a estimé qu’il pourrait « jouer le rôle de médiateur dans la crise algéro-française » grâce à sa « capacité de négociation » et au « large soutien dont il bénéficie dans la classe politique française », précisant qu’il « n’a pas d’ambitions présidentielles ».
En revanche, le maintien de Bruno Retailleau au gouvernement signifierait, selon lui, « la poursuite de la même approche folklorique et acrobatique », notamment sur la question des expulsions. Il a jugé que Retailleau avait « dépassé même les positions de Marine Le Pen », utilisant la relation avec l’Algérie « pour se présenter comme un homme fort qui résiste à l’Algérie ». Il a regretté que ce dossier, toujours suivi par le président français, ait été « accaparé par Retailleau », ce qui a causé « un grand embarras ». Pour Abidi, « son départ du gouvernement serait un signal positif d’une volonté française d’améliorer les relations avec Alger ».
Repenser la politique étrangère au Sahel
Le chercheur a par ailleurs critiqué l’absence de « politique anticipative de l’Algérie face aux évolutions au Sahel ». Il a appelé à « revoir les priorités de la politique étrangère », estimant que l’Algérie doit « bâtir des relations avec les États et non avec les régimes ». Il a rappelé que l’Algérie avait « formé des centaines de cadres maliens et tchadiens », sans exploiter cette influence.
Abidi a affirmé qu’« il n’y a pas d’alternative à une coopération avec les pays du Sahel », car « les frontières communes ne peuvent être sécurisées uniquement par la force militaire ».
Il a aussi relevé des « divergences d’intérêts avec la Russie dans la région », expliquant que Moscou considère son partenariat avec Alger en tant que client majeur de son armement, mais « cela ne signifie pas que les agendas soient identiques ». Lorsque la France était présente, a-t-il ajouté, « il y avait coordination et échange d’informations avec Alger », car Paris « se méfiait aussi des sociétés militaires privées ». Pour Abidi, « l’Algérie ne doit pas lier sa sécurité régionale à un seul pays ».
Sur la Libye, il a jugé difficile de prévoir les intentions de Khalifa Haftar vis-à-vis de l’Algérie. Il a considéré que la situation constitue « un test pour la doctrine algérienne », fondée sur le soutien au gouvernement reconnu et le refus des milices armées. Haftar, selon lui, « affirme ne pas diriger une milice mais une armée nationale issue du régime Kadhafi », tandis que « l’Ouest libyen reste dominé par des milices », plus organisées et mieux équipées.
La diplomatie religieuse comme puissance douce
Enfin, Hosni Abidi a insisté sur « l’importance de la diplomatie religieuse comme prolongement de la diplomatie publique ». Il a rappelé que l’Algérie partage ses frontières avec des pays où « les zawiyas jouent un rôle essentiel dans la vie des populations, en tant que refuge lors de l’effondrement de l’État ».
Il a annoncé travailler à l’élaboration d’« un guide retraçant les itinéraires culturels de Timimoun », afin de valoriser « le patrimoine spirituel et historique de cette ville, qui fut durant des siècles un passage des caravanes reliant l’Ouest à l’Est, notamment vers La Mecque et Médine ». Selon lui, Timimoun représente « un corridor culturel, religieux, spirituel et économique », et il a appelé à « redonner vie à cette puissance douce et à l’exploiter pleinement ».