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Projet de loi portant criminalisation du colonialisme: Focus sur les principales dispositions

La Commission de la défense nationale de l’Assemblée populaire nationale a entamé l’examen du projet de loi portant criminalisation du colonialisme. La version finale du projet sera présentée aux députés lors d’une séance plénière prévue le 21 décembre.

Le vote est attendu la semaine suivante. Dimanche soir, le président de l’APN, Brahim Boughali, a réuni les membres de la commission chargée de la rédaction du texte. Il a insisté sur la nécessité d’un suivi strict des débats et sur l’importance de créer les conditions d’un débat sérieux et responsable, à la hauteur de la place qu’occupe ce dossier dans la mémoire nationale.

Le projet de loi comprend 26 articles. Il s’appuie sur les principes du droit international, notamment le droit des peuples à l’autodétermination, la justice historique et le principe de non-prescription des crimes.

Le texte vise à criminaliser le colonialisme français en Algérie depuis l’invasion du 14 juin 1830 jusqu’à l’indépendance, le 5 juillet 1962, ainsi que ses conséquences directes et indirectes après cette date. Selon le projet, le colonialisme français en Algérie constitue un crime d’État. Il est présenté comme une violation grave des principes humains, politiques, économiques et culturels consacrés par les lois et conventions nationales et internationales.

L’État algérien affirme sa volonté de révéler, documenter et diffuser les vérités historiques liées à cette période. Le texte recense 27 formes de crimes coloniaux. L’article 5 cite notamment les massacres de civils, les attaques militaires contre des populations sans défense, l’usage excessif de la force armée et l’utilisation d’armes interdites.

Il mentionne aussi la pose de mines, les essais et explosions nucléaires, les exécutions extrajudiciaires et le pillage des ressources et du Trésor public algériens. Le projet de loi évoque également l’imposition de lois d’exception réservées aux seuls Algériens, la torture physique et psychologique pratiquée à grande échelle, les atteintes graves à l’intégrité physique et mentale, la discrimination raciale et les traitements inhumains.

S’y ajoutent la privation volontaire des droits fondamentaux, les déplacements forcés de populations, la confiscation des biens et l’exil hors du territoire national. Parmi les faits cités figure la déportation de centaines de résistants algériens vers la Nouvelle-Calédonie au XIXᵉ siècle. Beaucoup ne sont jamais revenus. Une plaque commémorative leur est aujourd’hui dédiée face au port d’Alger.

Le texte mentionne aussi les tribunaux d’exception, les disparitions forcées, les détentions arbitraires, le regroupement des populations dans des camps, leur utilisation comme boucliers humains, ainsi que la privation d’éducation.

Il évoque les viols, l’esclavage sexuel, la profanation et la destruction des lieux de culte, la christianisation forcée et les tentatives d’effacement de l’identité nationale.

La loi cite également l’attribution systématique de qualificatifs humiliants aux Algériens et le recours au recrutement forcé dans l’armée française, y compris durant la Première et la Seconde Guerre mondiale.

Le projet précise que ces crimes ne peuvent faire l’objet d’aucune prescription. Ils engagent la responsabilité de tous leurs auteurs, qu’ils soient membres de l’armée coloniale, des forces de police, de milices, de forces auxiliaires, exécutants directs, complices ou donneurs d’ordres. L’article 7 traite du crime de haute trahison.

Il vise toutes les formes de collaboration des harkis et des personnes assimilées avec les autorités coloniales, contre la lutte du peuple algérien pour la souveraineté et l’indépendance. Le texte affirme « clairement » que l’État français porte la responsabilité juridique de son passé colonial en Algérie et des drames qui en ont résulté. L’Algérie entend recourir à tous les moyens juridiques et judiciaires pour obtenir la reconnaissance officielle de ces crimes, des excuses formelles et des réparations complètes.

Ces réparations incluent la dépollution des sites contaminés par les essais nucléaires, la remise des cartes des explosions nucléaires, des essais chimiques et des champs de mines.

Le texte prévoit l’indemnisation des victimes et de leurs ayants droit, ainsi que la restitution des fonds publics détournés. L’Algérie réclame aussi la restitution des biens matériels et symboliques emportés hors du pays, notamment les archives nationales, considérées comme un droit inaliénable du peuple algérien et une partie essentielle de sa mémoire.

Le projet prévoit également la restitution des dépouilles des figures de la résistance, du mouvement national et de la Révolution de libération afin qu’elles soient inhumées sur le sol algérien.

Face aux tentatives répétées de remise en cause des symboles nationaux, le texte affirme que l’État garantit la dignité de toutes celles et ceux qui ont participé à la résistance, au mouvement national et à la Révolution du 1er Novembre 1954. La loi définit précisément la glorification du colonialisme.

Elle englobe tout discours, écrit, image, vidéo ou contenu sonore visant à justifier ou à faire l’éloge du colonialisme français. La promotion de ces idées dans les domaines médiatique, académique, culturel ou politique est également visée.

Les peines prévues vont de cinq à dix ans de prison, assorties d’amendes pouvant atteindre un million de dinars, ainsi que la perte des droits civiques et politiques. Des sanctions sont aussi prévues contre toute apologie des collaborateurs ou toute négation de leur rôle contre la lutte nationale.

Toute atteinte aux symboles de la résistance, du mouvement national ou de la Révolution est passible de poursuites pénales. L’usage de qualificatifs à connotation coloniale portant atteinte à la dignité des personnes est également puni par la loi. La criminalisation du colonialisme est une revendication ancienne. Elle remonte aux années 1980.

L’historien et ancien député Mohamed Arezki Ferrad rappelle que la première initiative parlementaire date de 2001. D’autres tentatives ont suivi, notamment en 2006, en réaction à une loi française visant à valoriser le « rôle positif » de la colonisation. À plusieurs reprises, le projet a été gelé, souvent au nom de la préservation des relations avec Paris.

Il a parfois servi de levier politique sans jamais aboutir. En 2019, puis après l’élection du Parlement en 2021, de nouvelles initiatives ont vu le jour, sans suite concrète. En mars dernier, le dossier a été officiellement relancé par le président de l’APN, dans un contexte de tensions diplomatiques inédites entre Alger et Paris.

L’adoption de ce texte, après plus de quarante ans de tentatives, pourrait provoquer de fortes réactions en France, notamment dans les milieux politiques qui continuent de défendre une vision positive de la colonisation.

Le projet s’inscrit enfin dans le cadre d’une résolution adoptée par l’Union africaine sur la criminalisation de l’esclavage et du colonialisme et sur la justice réparatrice. L’Algérie, le Ghana et l’Afrique du Sud ont été chargés de porter ce dossier au niveau continental et international.

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L'express quotidien du 17/12//2025

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