Cela s’est passé jeudi après-midi, dans le train de banlieue ouest se dirigeant vers Alger. Un jeune homme se fait tabasser par des voyous, en tentant de sauver une fille volée et violentée, devant l’indifférence des passagers et des gardiens.
Un jeune monte dans le train en se frayant un passage en donnant des coups d’épaule aux badauds qui ferment l’accès, en restant accrochés aux portières, provoquant ainsi une perte de temps indéterminé, empêchant ainsi les portes de se fermer.
Le jeune, bien habillé et bien rasé, porte une chemise dans la main et tente de trouver une poigne pour ne pas se renverser quand le train reprendrait sa course. Il a un rendez-vous important aujourd’hui. Il doit réussir son énième entretien avec un DRH dans une entreprise privée. Il faut dire que notre héros est en quête d’un emploi depuis qu’il a terminé ses études à l’université d’Alger, il y a de cela 5 ans. Mais comme il n’a pas de parrainage, il doit se frayer seul son chemin ; trouver seul un emploi, travailler, fondre un foyer et vivre une vie aisée dans son pays libéré voilà près des soixante par de jeunes chômeurs, comme lui, qui croyaient en leur noble cause, celle de briser les chaînes de l’esclavage.
Le train repart puis s’arrête avec un crissement des rails au niveau de Bir Touta. A ce moment-là, il constate qu’un jeune a introduit sa main dans le sac d’une fille, âgée de 17 à 18 ans, une étudiante ou lycéenne qui n’a certainement pas un téléphone coûteux dans son sac. Il prend son temps, à palper le contenu de l’intérieur du sac. Notre homme l’observe, lui fait des clins d’œil pour qu’il retire sa main mais rien à faire. Il lui lance alors de vive voix : « Laisse-la tranquille et éloigne-toi d’elle ». L’autre réplique : « Qui t’as demandé l’heure, toi ? ». Ils s’accrochent. Notre homme le prend par le col pour le faire descendre de train lorsqu’ un coup de poing s’abat sur son oreille droite en lui faisant perdre son équilibre. Il tombe sur un autre passager assis sur un siège qui tente de le retenir. Et Tout le monde se met à crier, sans intervenir pour sauver notre homme.
Notre homme, assis à présent et suffoquant, interpelle celui qui l’a frappé pour lui dire que le voleur était l’autre, sans se rendre compte qu’il est encerclé par une bande de voyous. Des passagers tentent de les faire calmer quand un autre jeune se met à discourir : « Au lieu de s’occuper de ses affaires, Monsieur a voulu sauver la fille, qui devait rester chez elle…pourquoi sort-elle seule ?…bah, ces jeunes se prennent pour des policiers ; regardez son accoutrement, c’est peut-être un policier, de vrai ; regardez-le comment il nous toise, on dirait qu’il nous en veut à tous… ». Puis un autre reprend : « Oui, il a raison, il n’avait pas à intervenir, sauf si c’est un dawla ». Ainsi, chacun s’est employé à mettre son sel sans que personne n’apporte le moindre soutien à notre héros qui voulait sauver la fille des griffes des voyous.
Notre homme écoeuré, avili, broyé, ne put tenir plus longtemps. Il se leva, chancelant, au moment où un homme lui tendit un mouchoir pour essuyer le sang car il avait l’oreille qui saignait. Il s’éloigna prestement de la foule qui, visiblement, avait vu la scène depuis le début. Il descendit au prochain arrêt, se mit à marcher seul sur le quai, sans se retourner pour voir de quoi était faite cette foule qui avait perdu sa dignité et qui, par couardise, faisait semblant de ne pas comprendre.